La damoiselle de Levroux

Paru en 2013 chez Éditions Nouveau monde Jeunesse

 

Une enquête à Levroux au XIIIe siècle

 

Le Berry, 1224. Pendant la nuit, Blanche de Bouges, jeune héritière orpheline, disparaît du château de Levroux, en l'absence de son tuteur André de Chauvigny. Frère Hugues, jeune moine connu pour sa sagacité est aussitôt appelé pour mener l'enquête. Il décide d'entrer au château en se faisant passer pour le nouveau précepteur du petit Jean, le fils du seigneur. Il apprend alors qu'aucun cheval n'a disparu de l'écurie, que le chien de la damoiselle n'a pas aboyé dans la nuit et que la suivante de Blanche ne s'est pas éveillée. Le fils du seigneur est très agité. Sait-il quelque chose ?

Qu'est-il arrivé à la damoiselle : fugue, enlèvement, assassinat ? Chétif, bossu, mais toujours vif et perspicace, frère Hugues nous surprend à nouveau dans cette enquête riche en coups de théâtre.

Ci-dessous, le premier chapitre



Chapitre 1

 

 

 

          Château de Levroux, avril 1224

 

         Margot, la petite servante, se réveilla en sursaut. La pénombre régnait dans la chambre. Elle guetta la rumeur de la maisonnée. Sa maîtresse ne l’avait pas encore appelée, elle devait encore dormir derrière les lourdes courtines1 de son lit. Pourtant, l’enfant avait l’impression d’avoir trop paressé. Elle secoua sa tête lourde de sommeil et se leva sans bruit. Elle enfila sa jupe sur la longue chemise qu’elle portait le jour comme la nuit, chaussa ses socques et roula sa paillasse à tâtons.

         Puis elle ouvrit le volet de la fenêtre et regarda dans la cour du château pour se faire une idée de l’heure. Il était déjà assez tard. Le soleil était haut dans le ciel. Chacun vaquait à ses occupations : un garçon apportait une brassée de bois à la cuisine ; un autre nourrissait les poules ; un troisième sortait les cochons ; les chevaux de l’écurie hennissaient, pressés d’être servis plus vite…

         La fillette se hâta de descendre chercher l’eau pour la toilette de sa maîtresse. Elle ne devait pas se mettre en retard, damoiselle Blanche n’aimait guère attendre. Autour du puits, servantes et valets la raillèrent joyeusement :

         – Eh bien, Margoton, tu n’es guère en avance ce matin ! La damoiselle va te tanner le cuir ! prévint une rouquine, tandis que les garçons cherchaient une explication à ce lever tardif :

         – Tu as veillé tard hier pour ne pas être debout au chant du coq ?

         – Tu faisais donc de bien beaux rêves ? C’est ce qui t’a empêchée de te lever ce matin ?

         – C’est de moi que tu rêvais, la belle ?

         La servante choisit de les mépriser. Elle haussa ses épaules maigres :

         – Ma damoiselle n’est pas réveillée encore. C’est bien ma chance, elle ne se presse jamais, le matin.

         Elle remonta son récipient en chantonnant, versa l’eau dans un plat d’argent et disposa une serviette propre à côté. Elle recula ensuite d’un pas pour admirer son oeuvre. Avec un sourire satisfait, elle se tourna vers le lit pour appeler :

         – Damoiselle Blanche, le soleil est levé. L’eau de votre toilette est prête.

         Pas de réponse.

         – Damoiselle, vous m’entendez ?

         Toujours rien. Étonnée, Margot s’approcha de la couche et insista :

         – Damoiselle ? Il est l’heure.

         Elle tendit une main hésitante vers les rideaux de brocart :

        – Damoiselle Blanche, c’est le matin. Faut-il que j’ouvre les courtines ?

         Devant l’absence de réaction de sa maîtresse, la petite servante balança un instant avant de tirer le lourd tissu. Pourtant, il le fallait ; la damoiselle la tancerait si elle la laissait trop dormir ! Margot se décida. Le spectacle qui s’offrit à elle la fit béer de surprise. Le lit était vide ! Seul Thyber, le petit chien blanc, était roulé en boule au beau milieu. L’édredon rabattu découvrait la couche. Abasourdie, Margot rejeta la couette de l’autre côté, espérant contre tout bon sens y découvrir sa maîtresse ; mais elle n’était pas là. La fillette resta plantée devant le lit. Elle ne comprenait pas. Blanche de Bouges s’était levée sans qu’elle l’entende, et elle était partie. Mais où ? Et pourquoi ?

         Affolée, la chambrière se précipita hors de la pièce, Thyber aboyant sur ses talons. Elle se sentait coupable, sans savoir de quoi. Elle devait prévenir maîtresse Jeanne au plus vite. C’était la seule qui saurait quoi faire. Margot descendit un étage et rejoignit l’intendante du château de Levroux, dans la chambre des maîtres.

         Maîtresse Jeanne, une femme énergique à la forte poitrine, était penchée sur un coffre. Elle y rangeait des vêtements de la dame châtelaine, lorsque la porte s’ouvrit à la volée :

         – Maîtresse Jeanne, maîtresse Jeanne ! cria une petite voix affolée. Je ne trouve pas la damoiselle ! Elle n’est pas dans sa chambre !

         L’intendante se retourna, contrariée d’être interrompue dans sa tâche. Cependant, le ton angoissé de la servante alerta Jeanne et fit tomber sa colère. Elle dévisagea l’arrivante avec inquiétude. La petite éveillait toujours son instinct maternel. Margot était encore une enfant. Elle avait tout juste douze ans. Les joues habituellement rouges de la gamine étaient pâles comme la craie et elle ouvrait grands ses yeux bleus. Sa bouche était crispée, comme si la servante était au bord des larmes.

         Jeanne referma le coffre et y fit asseoir la gamine avec douceur. Elle plongea son regard noisette dans les yeux de la petite et demanda :

         – Raconte, Margot, que se passe-t-il ?

         Essoufflée, la servante cherchait ses mots :

         – Eh bien, quand j’ai tiré les courtines du lit, elle n’était pas sous son édredon ! La damoiselle a disparu ! Le lit était dérangé, mais vide !

         L’intendante haussa ses épaules rondes en souriant :

         – La belle affaire ! Damoiselle Blanche se sera réveillée de bon matin et sera descendue déjeuner à la cuisine ! De quoi t’inquiètes-tu?

        – Mais, ce n’est pas son habitude, vous le savez, insista l’enfant. Elle dort comme un loir ! Je dois toujours l’appeler plusieurs fois pour qu’elle m’entende.

         – C’est vrai, mais réfléchis, elle atteint ses quinze ans, on change à cet âge. Et elle est plus agitée, ces temps-ci ; tu l’as sans doute remarqué comme moi. Son prochain mariage, sans doute…

        – Oui, mais elle ne m’a pas réveillée, maîtresse. Elle ne m’a pas demandé de l’habiller, ni de lui  monter son eau pour la toilette. Elle a dû m’enjamber pour sortir, puisque je dors devant la porte. Ce n’est pas normal. Et elle a laissé Thyber !

       L’intendante opina. Elle connaissait le caractère de Blanche de Bouges. Celle-ci avait suffisamment conscience de sa haute position pour ne jamais oublier de demander à sa chambrière d’accomplir les basses besognes. Jamais la damoiselle ne sortirait elle-même sa robe du coffre. Et elle ne pouvait l’enfiler seule. Il lui fallait passer par Margot pour cela. De plus, la jeune fille emmenait partout cet infâme cabot, ce roquet hargneux qui mordillait tissus et chaussures, abîmant tout. Jeanne soupira, gagnée par l’inquiétude de Margot :

         – Descends à la cuisine. Demande si quelqu’un l’a vue, avant de t’affoler. Nous devons vérifier qu’elle n’est plus dans le château avant de sonner l’alarme. Et surtout, mets cet animal dehors !

         À demi rassurée, la petite fila, Thyber sous le bras. L’intendante s’assit pour réfléchir. Profondément troublée, elle fronçait les sourcils. Bien qu’elle le cachât à la gamine, elle trouvait cette disparition des plus inquiétantes. Les seigneurs étaient absents du château pour quelques jours et c’est sur elle que reposait la bonne marche de la maison. Elle avait la garde du petit Jean, le fils des maîtres, qui était malade, ainsi que celle de la jeune fille. Si Blanche de Bouges faisait des siennes, la tâche ne serait pas aisée.

         Jeanne soupira. La damoiselle était devenue fantasque depuis peu ; à vrai dire, depuis qu’elle avait appris l’imminence de son mariage et le nom de son mari. Au moment du départ de messire André et de son épouse, lorsqu’on avait conclu que le petit Jean était trop mal en point pour les accompagner, la jeune fille avait insisté pour rester auprès de lui, à la grande joie de l’enfant. Et voilà qu’elle disparaissait. Qu’avait-elle pu inventer ? Avait-elle manigancé cette disparition de longue date ?

 

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