La permière foire de Silvio

Paru le 07 mai 2022 édition La Bouinotte

Un roman historique jeunesse pour adolescents (collège)

Roman d'aventures et d'initiation, roman policier.

 

À douze ans, l’intrépide Silvio n’en fait qu’à sa tête. Après avoir déclenché une bagarre lors d’un mariage, il est obligé de quitter Florence le temps qu’on l’oublie. Il doit suivre son oncle, un marchand, sur les foires de Champagne. Mais le voyage s’annonce dangereux. En traversant les Alpes, le garçon évite de peu une chute mortelle. Et il semblerait que cela ne soit pas un accident… Pourquoi en voudrait-on à sa vie ? En arrivant dans la ville de Provins, il noue de nouvelles amitiés. Aux côtés de Simon et Isabelle, Silvio est bien décidé à résoudre l’affaire. Quitte à se mettre en danger !

Entre complot, pouvoir et alliance, suivez les aventures palpitantes d’un petit italien au coeur de la France médiévale.

 

 

Lire le premier chapitre ci-dessous



 Chapitre 1

 

 Profitant de la nuit, la troupe de garçons avaient barré la rue étroite. Ils s’étaient emparés de tout ce qu’ils avaient trouvé : quelques grosses pierres, des tonneaux, des planches, des perches à mélanger la teinture, une carriole renversée, du linge arraché à son fil, une vieille porte dégondée... Dans le plus grand silence, ils avaient empilé derrière leur barricade une réserve de munitions : cailloux, fruits pourris, œufs, crottes d’animaux. Ils avaient opéré avec tant de discrétion que nul ne les avait vus faire. Fins prêts, tapis à l’abri de leur rempart, protégés par l’obscurité, ils attendaient leurs victimes.

Silvio, le fils d’un marchand de toiles, menait la bande. Il n’était pas le plus âgé, loin de là : le grand Luca avait bien cinq ans de plus ; cependant, le gamin était le plus inventif. Malgré ses douze ans, il en imposait à ses aînés. Silvio était chétif, mais lorsqu’il s’enflammait, tous lui emboîtaient le pas.

Le garçon était habité par la rage : la jalousie envers Renato, son frère aîné qui réussissait sans difficulté, la rancœur contre les puissants banquiers qui décidaient de tout, le mépris pour ses parents qui s’inclinaient obséquieusement. Lui ne se laisserait pas dominer ! Il montrerait à tous qu’il valait  autant qu’un de ces fiers Bardi !

Lorsque les garçons avaient appris qu’Anselmo Bardi, un veuf de plus de trente ans, osait épouser une jeunette de quinze printemps : la belle Emiliana Gabriele, ils avaient décidé d’organiser un charivari. C’est Silvio qui avait eu l’idée de l’embuscade. Il avait décrété qu’il fallait barrer la Via della Acqua : les mariés y passeraient forcément après le souper.

Alors que les autres pensaient à une attaque de face, un bombardement d’objets répugnants et une avalanche de cris barbares pour amuser la foule, Silvio avait imaginé mieux : il organiserait un guet-apens nocturne qui produirait la plus grande terreur. Il voulait frapper les esprits. Cela découragerait peut-être les hommes mûrs de choisir pour femmes les plus jeunes filles. Celles-ci étaient, de toute évidence, destinées à leurs cadets !

Les adolescents guettaient dans l’obscurité lorsqu’un bruit de roues les mit en alerte. L’attelage arrivait ! On voyait ses fanaux éclairer les murs d’une lueur tremblotante. Le véhicule tourna dans la ruelle. Au moment où le cocher, découvrant la barricade, arrêta ses chevaux, les garçons jaillirent ensemble, hurlant et lançant leurs cailloux sur la voiture. Leur vacarme étouffa le cri aigu que poussa la mariée. Indigné, Anselmo Bardi mit la tête à la fenêtre. Il interpella le cocher d’un ton rogue :

- Qu’est-ce donc ?

- Charivari pour les vieux boucs ! vociféra Silvio, qui se dressa devant lui, comme un diable surgissant de sa boîte.

Son apparition déclencha une pluie de fruits pourris et de crottes de chiens. Certains projectiles, bien lancés, s’écrasèrent sur la face du banquier et ruisselèrent dans sa barbe soigneusement peignée. Il se rejeta en arrière avec dégoût. On entendit la mariée piailler à nouveau dans l’ombre de la voiture.

Silvio était ravi du succès de sa manœuvre. Anselmo Bardi venait d’être humilié. Le garçon leva le bras avec autorité et l’averse cessa. Bien campé sur ses deux jambes, au milieu de la ruelle, le chef de bande clama d’une voix forte, s’adressant autant aux mariés qu’aux voisins qui pointaient timidement le nez aux fenêtres :

- N’y a-t-il point assez de veuves pour que vous choisissiez les plus fraîches donzelles ? Que va faire la belle Emiliana d’un tel barbon, je vous le demande ? Nous, les jouvenceaux, exigeons un dédommagement !

Le marié hésita. Son orgueil était blessé et il aurait volontiers tenté de passer en force. Cependant, il préféra la prudence. Il évalua les assaillants. Ils étaient nombreux, une bonne quinzaine, et semblaient déterminés. Silvio, l’air mauvais, brandissait une perche durcie au feu. Son camarade tenait une fronde. D’autres avaient des pierres ou des bâtons. Les visages étaient fermés. La violence se lisait dans tous les regards. Le banquier trouva inutile de résister.

- Bon, bon, grommela-t-il de mauvaise grâce, puisque c’est la coutume… Prenez ma chaîne, vous pourrez vous offrir un banquet à notre santé !

Avec mépris, il jeta aux pieds de Silvio son collier à grosses mailles d’or. Luca, qui se tenait derrière le chef, se précipita pour le ramasser, ravi du cadeau. Cependant, son compagnon ne l’entendait pas de cette oreille. Silvio sentait son sang bouillir : une fois encore, on le traitait comme un inférieur, comme un valet qui ramasse les restes. Il trembla de rage, les poings serrés. Il marcha sur la main de Luca, en sifflant :

- Laisse ! Nous ne sommes pas des chiens à qui on jette un os ! Messire Bardi ne va pas se débarrasser de nous avec si peu !

- Que veux-tu donc? chuchota l'autre, effrayé par la violence de sa réaction. Cette chaîne va nous permettre de festoyer plusieurs jours. C’est assez, il faut les laisser aller. La tradition ne demande pas plus. Ouvrons le passage. Nous risquons des ennuis, si nous exagérons. Tu connais la puissance des banquiers.

Les autres membres du groupe grommelaient sans prendre parti ouvertement. Les avis étaient partagés : le cadeau leur semblait suffisant mais ils craignaient la colère de Silvio s’ils soutenaient le grand Luca. D'autre part, s'ils pouvaient obtenir plus encore...

- Non ! cria soudain Silvio d’une voix acérée comme une pointe de lance, ce n’est pas assez ! Je veux un baiser de la mariée ! C’est à cette condition seulement que nous leur rendrons la liberté !

Devant l’incongruité de la demande, Anselmo Bardi éclata de rire dans sa voiture :

- Toi ? persifla-t-il, un marmot qui tète encore sa mère ! C'est trop drôle ! On te tordrait le nez qu’il en sortirait du lait ! Et tu veux un baiser ! Attends que la barbe te pousse avant d’embrasser les femmes, gamin !

Fou de rage, le garçon ne se contrôla plus. Pour lui, rien n'existait plus, à part la vengeance. Il se jeta sur la voiture, la lance en avant. Le banquier, sûr de sa puissance, fut tellement surpris par cette révolte inattendue qu'il n’eut pas le temps de se défendre. L’arme l'atteignit en plein visage. Elle s’enfonça profondément dans sa joue, remontant vers l’œil. Le sang gicla, éclaboussant Silvio. La mariée, terrorisée, hurla.

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